Espions mais pas trop
Amateurs de films d’espionnage au scénario réglé comme du papier à musique, passez votre chemin. Le plaisir de chanter n’a que faire de son postulat de suspense. Cette œuvre préfère dissiper son intrigue par une galerie de jeunes adultes réunis dans un cours de chant lyrique, poumon et c(h)œur de l’enquête.
Ces voi(es)x emmêlées et toutes pénétrables sexuellement traitent de la perte, de l’innocence perdue de la jeunesse, de l’isolement urbain, des aspirations étouffées par le jeu des apparences. La symbolique du Mc Guffin est à ce titre édifiante car, de nos jours, égarer sa clef USB revient à livrer son jardin secret à celui ou à celle qui la trouvera.
Dans une volonté de contrepoids, cette comédie anti-romantique, mais pro désir explore la découverte de son intimité et des quiproquos corporels qui en résultent. Lieu idéal de « re-connaissance », donc de « re-naissance », le cours de chant invite à la révélation de sa voix la plus juste, à l’élimination des pelures du paraître, à l’acceptation de son âme toute nue.
Depuis La confusion des genres, Ilan Duran Cohen, réalisateur et romancier, s’y entend pour tresser la légèreté du divertissement, la profondeur de la réflexion et l’effeuillement physique et mental de ses personnages ambivalents.
Même si le scénario s’éparpille et qu’il aurait fallu peut-être situer en province cette comédie (trop ?) « parigo-bobo », le troisième long-métrage de Cohen fait du bien à voir pour son chahut désinvolte et son désenchantement délicieux. Traités à la même enseigne, les comédiens professionnels ou non excellent car tous – le jeu de mot est facile, mais là il s’impose – chantent une même petite musique qui évolue entre frivolité et gravité :
Marina Foïs et Lorànt Deutch campent un couple d’espions qui couche malgré leur éthique professionnelle. Pieds nickelés empêtrés dans leur romance, ils sont las d’exercer leur métier. Marina Foïs possède un regard d’abattoir lorsqu’elle prend conscience qu’elle n’a jamais été enceinte de sa vie. Lorànt Deutsch, le moins à l’aise de la bande, fait pourtant preuve de courage en se lançant dans cette aventure car Cohen, depuis le téléfilm Les amants du Flore où il incarnait Sartre, le force à moins cabotiner et à accepter son corps qui retient l’enfance.
Jeanne la folle
Jeanne Balibar, Marina Foïs, Evelyne Kirschenbaum,
Guillaume Quatravaux & Dominique Reymond ci-dessous.
On ne dira jamais combien Dominique Reymond, patronne des Services secrets en perpétuel transit dans les aéroports qui ordonne de « liquider » à tout bout de champ, est une comédienne impeccable de rigueur et de nuance. Idem pour la trop rare Nathalie Richard, fille spirituelle de Delphine Seyrig au jeu aussi précis qu’éthéré.
Sans oublier Evelyne Kirschenbaum en professeur de chant et mère castratrice, Guillaume Quatravaux, dessinateur de BD dans la vie et fils émasculé à la voix d’or dans le film ainsi que Frédéric Karakozian, bear énigmatique coincé entre la pilosité de Jean Yanne et celle de King Kong !
Les prix suprêmes d’interprétation reviennent à Julien Baumgartner, petite pute désemparée. Presque toujours à poil dans le film, il sait, dans un tour de force inouï, faire oublier sa nudité en s’apitoyant comme une biche sur le temps qui passe, en pleurant lorsqu’il se rend à l’amour, en se masturbant sur sa voix de ténor ou en offrant, lors d’un premier rendez-vous, le trou de son derrière à une Marina Foïs médusée.
Enfin, il y a Jeanne. Jeanne la manipulatrice qui joue à la nunuche à moins que ce ne soit l’inverse. Jeanne qui chante de l’opéra alors qu’elle ne rêve que de variété. Jeanne lasse des hommes qui se tape des filles. Jeanne qui rit et Jeanne qui pleure. Jeanne l’évanescente. Jeanne la troublante. Jeanne l’exaltée. Jeanne la barrée. Jeanne la folle dont le nom, condensé d’Ali Baba et de Zanzibar, sonne comme une promesse de bonheur unique, à part : JEANNE BALIBAR !
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6 Ils ont dit
J’ai bien aimé le délire du film, la nudité comme subversion et comme mesure de la liberté. Marina Foïs est touchante dans son rôle de femme à la jeunesse finissante hanté par le désir de maternité. Jeanne Balibar sort enfin de ses rôles trop intellectuels. Julien Baumgartner est stupéfiant de naturel. Oui la vraie liberté c’est de pouvoir se balader à poil sans y penser.
Lorant Deutsch est acceptable sauf qu’il a refusé de jouer à poil et que cela détonne méchamment dans ce film dont le principe est que tout le monde se montre nu.
Malgré tout, un bon film, agréable à voir.
Quand j’ai vu le petit Baumgartner j’ai pensé à toi (si si pendant le film…) me disant qu’il était FAIT POUR ton scénar !
Silenzio
Je viens de lire ta critique de ce film que nous avons tant aimé Nicolas et moi. C’était un vrai moment de bonheur.
Encore une fois, c’est un vrai plaisir de te lire. Ton écriture prend de plus en plus de force, je trouve.
P
Depuis la Confusion des genres, I.D.Cohen sait parler du masculin et du féminin en effeuillant les clichés.
Qu’une écriture si perçante soit mise au service de l’image, nous ravit et nous tire des larmes de joie.
Les personnages se retrouvent nus au propre comme au figuré, au coeur d’une musique dont tu dis si justement qu’elle n’est pas réglée comme le papier qui la compose…
Merci à ce réalisateur et merci à toi pour ton attention aux films, pour ton oeil de lynx et tes mots dont j’aime la musique…
Pénélope
Un petit bijou que ce « plaisir de chanter »…
et surtout une révélation : Julien Baumgartner dans un rôle casse-gueule qu’il domine comme un ange !
Qu’est-ce qu’il écrit bien le bougre !
R