Toute beauté est une joie éternelle.

John Keats

Le 27 janvier 2016, sortait Tout en haut du monde de Rémi Chayé. Le 14 décembre, La Jeune fille sans mains de Sébastien Laudenbach. Entre les deux, le cinéma d’animation français nous a offert quelques pépites : La Tortue rouge de Michel Dudok de Wit, Ma Vie de courgette de Claude Barras, Louise en hiver de Jean-François Laguionie. 5 films remarquables et novateurs, tant le fond que la forme.

Il y a déjà longtemps que le cinéma d’animation ne se satisfait plus de présenter des dessins animés charmants et un peu mièvres destinés au seul plaisir des enfants. Il propose des œuvres riches, stimulantes et novatrices comment en témoignent les indéniables réussites des studios Ghibli au Japon, Pixar aux Etats-Unis, Aardman en Grande-Bretagne. La France, hormis quelques indéniables réussites non exhaustives, Les triplettes de Belleville de Sylvain Chomet, Kirikou de Michel Ocelot, La Prophétie des Grenouilles de Jacques-Rémi Gired (le fondateur de La Poudrière, formidable vivier de nouveaux talents), semblait un peu à la traîne. Ce n’est plus le cas en cette année 2016 avec 5 films qui, en plus de leur beauté visuelle, abordent des thématiques telles que la vieillesse, la maladie, la mort, l’alcoolisme, la misère. Tous proposent des messages humanistes sans didactisme, sont peuplés de personnages qui dépassent les stéréotypes. Sacha, l’héroïne inoubliable et si peu conventionnelle de Tout en haut du monde. Le naufragé et son campagne reptile dans La Tortue rouge. Raymond, le policier à la tendresse généreuse de Ma vie de Courgette. Louise, la vieille dame si délicieusement indigne de Louise en hiver. La jeune fille sans mains, au cœur pur et à la détermination sans faille, protagoniste du film de Sébastien Laudenbach. Retours en images.

Tout en haut du monde. L’histoire se déroule à la fin du 19ème siècle à Saint-Pétersbourg. Sacha, une jeune fille de l’aristocratie russe, est fascinée par son grand-père, Oloukine, explorateur de renom jamais revenu de sa dernière expédition à la conquête du Pôle Nord, cause du déshonneur familial. Pour laver cet opprobre et retrouver Daïva, le navire de son aïeul, Sacha s’enfuit. Ce récit initiatique, épopée glaciaire, est d’une grande réussite graphique. Des dessins aux traits puissants et naïfs, en somptueux aplats de couleurs pastel, épurés jusqu’à l’abstraction. Une aventure qui alterne des séquences haletantes et des moments plus contemplatifs, le tout soutenu par une bande-son réaliste. Qualités multiples au service d’un film grandiose avec héroïne courageuse et intrépide.

La Tortue rouge. Michael Dudok de Wit raconte le naufrage d’un homme sur une île déserte peuplée de tortues, de crabes et d’oiseaux. Ce Robinson connaît bien des aventures, certaines douloureuses, d’autres heureuses, étapes qui jalonnent la vie d’un être humain. Le récit est raconté sans le moindre dialogue mais avec des cris, des pleurs, le souffle du vent dans les arbres, la fureur de la mer déchaînée. Un graphisme sobre, éblouissant, d’un gris crépusculaire aux couleurs chatoyantes, illustre le film. Histoire palpitante d’une extrême fluidité qui prône sans didactisme ni moralisme, la tolérance, le respect et l’acceptation de l’autre. Un conte philosophique d’une beauté à couper le souffle.

Ma Vie de courgette. Claude Barras, avec le concours de la cinéaste Céline Sciamma (Tomboy, Bande de filles), raconte les aventures de Courgette, vaillant gamin de 7 ans, yeux immenses et cheveux bleus, qui se retrouve seul après le départ de son père et la mort accidentelle de sa mère. Raymond, un officier de police bienveillant à la tendresse trop longtemps refoulée, le conduit dans un orphelinat. Là, il découvre d’autres enfants, éclopés de la vie. Courgette se construit une nouvelle famille grâce à la force de l’amitié, au pouvoir de la solidarité. Filmé à hauteur de personnage, ce chef-d’œuvre de poésie, d’humour et d’intelligence dit tout de la dureté de la vie sans misérabilisme ni mièvrerie. Ce film humaniste, drôle et grave, pudique et léger, offre une leçon de résilience et une ode à la joie de vivre.

Louise en hiver. Louise, une septuagénaire rate le dernier train de la saison, se retrouve seule dans une station balnéaire abandonnée après le départ des estivants. Elle s’installe sur la plage, se construit une cabane. Avec Pépère, un chien abandonné, elle se promène sur la digue. Elle commente avec humour son existence, pense à son enfance, à ses amours passées, parle avec le cadavre d’un parachutiste anglais suspendu à un arbre bien des années après la fin de la guerre. Souvenirs vrais ou faux ? Aucune importance. L’art de Jean-François Laguionie est aussi simple que puissamment évocateur : trait délicat et affirmé, pastels, gouache, rythme contemplatif, dialogues rares, musique doucement élégiaque, et la voix délicieusement flottante de Dominique Frot. Une allégorie sur la solitude et la vieillesse. Un hymne à la vie et à la liberté.

La jeune fille sans mains. Cette adaptation d’un conte cruel des Frères Grimm relate l’histoire d’un meunier pauvre et affamé qui vend sa fille au diable contre la promesse de la richesse. Il la troque mais aussi la souille en lui coupant les mains, car le diable ne sait que faire de cette jeune fille trop pure. Récit initiatique, métaphore sur la bassesse de la nature humaine, ce film, malgré la noirceur de son propos, est un poème filmé des plus lumineux. Les images d’une beauté sensuelle racontent avec légèreté une histoire qui ne cesse de se réinventer. Les contours à peine esquissés des personnages se confondent avec ceux des décors. Minimaliste, original, elliptique, fluide, cette oeuvre oublie parfois le fond au profit de la forme. On le regrette… un peu avant que la beauté de l’animation ne nous emporte à nouveau !