Elle était pour partie une reine, pour partie une enfant misérable, parfois à genoux devant son propre corps, parfois au comble du désespoir à cause de lui.
Arthur Miller Timebends : A life – 1988
Les pages du magazine français de cinéma tremblaient entre ses mains. Nick Fox préférait attribuer ce frémissement au vent du large que les soirs de printemps amplifiaient à Cap Cod. Il regardait les fleurs de cimetières qui formaient des rigoles d’un brun sale jusqu’à la naissance de ses phalanges. Ses doigts caressaient avec maladresse la dernière affiche du 65e Festival de Cannes où Marilyn soufflait une bougie d’anniversaire. Never kill the light…
À chaque fois que ses pensées l’absorbaient, l’agitation quittait le corps de Nick. Marilyn n’avait jamais mis les pieds sur la Croisette. Lui, si, deux fois. En 1967 quand Bardot avait créé l’émeute à la clôture du vingtième festival. En 1978 quand Farrah Fawcett avait elle aussi déclenché une sacrée cohue. MM, BB, FF : de la pin-up au sex-symbol.
C’est au retour de son second séjour sur la Côte d’Azur que Nick avait abdiqué ses rêves de gloire. Il avait opéré un virage chanceux dans les assurances, s’était marié, avait fait un fils qui l’abandonnait aujourd’hui dans cette maison de retraite avec son veuvage, une maladie de Parkinson et Marilyn, la grande affaire de sa vie. La seule femme prompte à le suivre, le devancer, l’entourer, à toujours l’exciter avec son image multipliée, dupliquée, placardée à l’infini.
Ce que Nick aimait par-dessus tout, c’était voir et revoir des séquences de Marilyn au ralenti. Décomposition du mouvement jamais pris en flagrant délit de disgrâce. Son popotin qui chaloupe entre deux fumées de chemin de fer dans Certains l’aiment chaud. Son étranglement en plongée dans Niagara. Sa déambulation de schizo dans Troublez-moi ce soir. Sa danse alanguie sous l’arbre des Misfits. L’acidulé de son arrivisme dans Eve. En 1950, Nick avait fait de la figuration dans le film de Mankiewicz, mais il n’avait pas croisé Marilyn. D’ailleurs, il ne l’avait jamais vue. Ça lui était égal. Il préférait la rêver.
Créature inégalée dans la mythologie d’Hollywood. Déesse ambitieuse, manipulatrice, indépendante, versatile, addict. Éternel féminin qui obtient tout ce qu’il désire : un diamant dans Les Hommes préfèrent les blondes, un radeau dans Rivière sans retour, le souffle d’une grille de métro sous un plissé soleil dans Sept ans de réflexion. Marilyn faussement stupide. Marilyn vraiment fragile. Marilyn capable de tout plaquer en 24 images seconde pour un homme. Riche, pauvre ou encore puceau comme Bo, le cow-boy d’Arrêt d’autobus. Le film préféré de Nick. Quand Bo sous la neige lui offre son blouson, Marilyn s’abandonne dans le vêtement, coule, se dissout et pourtant irradie, resplendit en gros plan : bouche en coeur vermillon, nez d’enfant, fine mouche, regard azur charbon noir, teint si opalin que le sang semble du lait, auréole blond blanc qui absorbe et réfléchit la lumière dans une incandescence où la profondeur du drame s’affronte à l’effervescence de la comédie.
Bus stop de Joshua Logan
Le lundi 5 août 1962, Nick, d’ordinaire lève-tard, arpentait dès le matin la plage de Santa Monica. De quel lit sortait-il ? Celui d’une rombière fortunée ou d’un généreux client ?… À l’époque, avec son pseudo physique à la Robert Redford, Nick utilisait son corps comme une carte de visite. Pour subsister, mais surtout pour se faire connaître dans le monde du spectacle. Qui lui avait offert son polo marine et son short blanc ?… Cette panoplie Lacoste mettait en valeur les poils dorés de ses bras, de ses jambes. Ceux qui broussaillaient dans l’échancrure de son col laissaient deviner la pilosité de son torse, de son ventre, de la bosse que formait son sexe sous le coton. Mais aucun regard d’envie ce matin-là. La plage était déserte. Les nuages bas, et un vent étrangement frais pour la saison lissait les poils de Nick jusqu’à lui donner la chair de poule.
La mort de Marilyn lui parvint en silence, telles ces boules de buisson qui avancent dans les westerns. Quelques pages du Los Angeles Daily News roulaient sur le sable, se plaquaient au sol, tentaient de prendre leur envol quand le pied de Nick chaussé d’espadrille comme Kennedy, les immobilisa. Sur le cover en capitales d’imprimerie : MARILYN DEAD. En dessous, dans un grand sourire, Marilyn faisait au revoir d’une main gantée de blanc. Un étau comprima l’estomac et les poumons de Nick, puis sa gorge. Ne pouvant plus respirer, il s’écroula.
La résonance de son propre ronflement réveilla Nick Fox en sursaut. Les fleurs de cimetières reprirent aussitôt leur tremblement sur Marilyn, toujours assise à l’arrière d’une voiture avec son gâteau d’anniversaire. La nuit était tombée sur Cap Cod. Sa fraîcheur pénétrante commençait à mordre l’épiderme. Nick, la bouche sèche, prit alors conscience que le personnel du mouroir l’avait oublié dans son fauteuil sur la terrasse. Never kill the light…
19 Ils ont dit
T’as un truc avec poils toi ?
parenthèse poétique nécessaire dans le tumulte quotidien – merci Benoit
merci beaucoup
j’adore !!!
à bientôt
Très belle nouvelle, en effet.
Alliance des connaissances et de l’émotion remarquablement réussie. Je te le disais hier soir, ton avenir t’attend.
Bises,
Quelle belle histoire émouvante …
merci pour cette chronique inattendue. Un beso.
Très jolie chronique d’ailleurs… comme toujours !
Je t’embrasse !
quelle délicieuse attention mon cher Benoit
à très vite
Ton site est très beau mon cher Benoit et le papier sur Marilyn fun et délicat.
Bonjour,
Votre plume est fine et vos écrit agréables à lire… Amicalement.
merci !
😉
à ceux qui y vont à Cannes parce que les autres, ben pas facile !
bise
Merci beaucoup Benito !
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Au 2,
Bonjour Benoit,
Comment vas-tu ?
Es-tu à Cannes ? je vais surveiller le tapis rouge !
T’embrasse,
Toujours aussi « inventives » ces affiches du festival…
Quelle indigence…
Maryline… et pourquoi pas Charlie Chaplin pendant qu’on y es… où James Dean ! Hi hi
Maréchal, nous voilàààààààà !
Très bel article. Tu n’as rien perdu de ta plume. Cool !
Très beau. je vois un court-métrage !
C’est super ! On s’appelle pour en parler ?…
Quelle belle affiche!
L’oeil de Lena Olin …;-) Ah Lena Olin !!!!