Tout ce qui a été fait en France dans le domaine du documentaire depuis 1960 découle, en partie, de l’influence du Québécois Michel Brault.
Jean Rouch
Septembre 2013, à quelques jours d’intervalle, le Québec perd deux de ses plus grands cinéastes : Arthur Lamothe et Michel Brault.
Tous les deux étaient nés la même année, 1928. L’un Arthur Lamothe, en France, en Gascogne et avait fait toute sa carrière au Québec où il s’était installé en 1953 et d’où il n’était jamais reparti. L’autre Michel Brault, à Montréal et avait fait carrière non seulement dans son pays natal mais aussi en Europe où il avait travaillé avec les plus grands. Tous deux aimaient le Québec plus que tout, tous deux croyaient en la valeur de l’engagement et de la solidarité. Leur cinéma à l’un comme à l’autre qu’il soit documentaire et de fiction en témoigne.
Mercredi 18 septembre, Arthur Lamothe s’est éteint, entouré de ses proches, après plusieurs AVC et quelques mois d’une vie végétative ; Michel Brault est lui, décédé samedi 21 d’un malaise cardiaque alors qu’il se trouvait à Toronto.
Après avoir été bûcheron en Abitibi, Arthur Lamothe entame des études en économie politique. Intéressé par le cinéma, il participe à la fondation de la revue Images et rédige des chroniques cinématographiques pour Cité Libre, Liberté et le Ciné-club de Radio-Canada. En 1961, il entre à l’Office National du Canada comme recherchiste et scénariste avant de passer, l’année suivante, à la réalisation avec Les Bûcherons de la Manouane, un court métrage socialement engagé sur un camp de bûcherons dans lequel il dénonce la misère de ces hommes déracinés et exploités tout en témoignant de la dignité des populations autochtones, préoccupation qui ne le quittera jamais.
Avant de quitter l’ONF en 1966, il réalise quatre autres films dont La neige a fondu sur la Manicouagan, un moyen métrage qui met en scène avec sensibilité et pudeur un couple sur le point de se séparer. En 1964, il fonde la Société générale cinématographique, une entreprise pilote de production de films pédagogiques et sociologiques. Jusqu’en 1973, il travaille dans plusieurs directions, participe à la scénarisation de deux films de Gilles Carle, La Mort d’un bûcheron et Les Corps célestes. En 1967, il réalise Le Train du Labrador, un court métrage dans lequel il aborde pour la première fois la réalité montagnaise.
De 1973 à 1983, Lamothe réalise La Chronique des Indiens du Nord-est du Québec, une série de treize films sur la réalité montagnaise. En 1983, il réalise l’œuvre la plus marquante de sa carrière, Mémoire battante sur l’univers spirituel des Montagnais. Aux images documentaires, Lamothe adjoint une fiction qui illustre les écrits du Père Lejeune interprété par Gabriel Arcand et, pour la première fois, commente à l’écran ses propres images. Lamothe a toujours témoigné d’une conscience éthique élevée et d’un engagement total et passionné faisant tout le prix de ses documentaires.
Engagement qui se manifeste aussi dans la fondation de l’Association professionnelle des Cinéastes du Québec (1964), à celle de l’Association des Producteurs de Films et de Télévision du Québec – APFQ (1966) et à l’organisation de la première Rencontre internationale pour un nouveau Cinéma (1974).
De 1984 à 1988, Lamothe cède l’ensemble de sa documentation audio-visuelle à un organisme culturel attikamek-montagnais, sous forme d’un fonds d’archives composé de 80 vidéocassettes thématiquement organisées. En 1980, il est le premier titulaire du Prix Albert-Tessier. En 1986, il tourne Equinoxe et en 1996, Le Silence des fusils, un docufiction sur le meurtre de deux jeunes amérindiens. Son cinéma se signale par un engagement sociopolitique et une exploration des cultures amérindiennes. En 1992, il signe La Conquête de l’Amérique sur le pillage des ressources et l’exploitation des populations autochtones.
Arthur Lamothe avec Gilles Carle à la caméra
Michel Brault
Michel Brault est un des pionniers et un des plus dignes représentants du cinéma direct. Caméraman, passionné par les recherches techniques, il est l’un des premiers à filmer caméra à l’épaule. Il n’aura de cesse de mettre au service du cinéma de fiction le savoir-faire du cinéma direct, que ce soit dans les films de Claude Jutra, À tout prendre (1963) ou Le Temps perdu (1964) ou dans ses propres films, Entre la mer et l’eau douce (1967) mettant en vedette Geneviève Bujold, actrice qu’il avait déjà mise en scène, en 1965, dans La Fleur de l’âge : Geneviève et qu’il retrouvera en 1990 dans Les Noces de papier et en 1994 dans Mon amie Max sans oublier Kamouraska de Claude Jutra en 1973.
En 1998, il réalise Quand je serai parti, vous serez encore là, un film sur la révolte des Patriotes de 1837. Le film rencontre un succès mitigé.
En 1959, Michel Brault rencontre Jean Rouch au séminaire Flaherty en Californie. Ils sont tous deux soucieux de cerner les phénomènes de l’intérieur grâce à une participation active. Suite à cette rencontre, Brault participera au tournage de Chronique d’un été (1961) de Jean Rouch et Edgar Morin et de La Punition (1963) ; il travaille également avec Mario Ruspoli pour Les Inconnus de la terre (1961) et Regard sur la folie (1962).
Plus tard, il travaillera également avec Annie Tresgot et avec William Klein. Il commence sa carrière comme photographe professionnel, avant de collaborer à la série Petites médisances (1953-1954), constituée de 39 courts métrages, où il expérimente les possibilités et les limites du téléobjectif dans l’esprit du candid eye.
Il entre à l’ONF en 1956, obtient sa permanence en 1961. Caméraman et chef opérateur, il joue un rôle de premier plan au sein de l’équipe française où il coréalise avec Gilles Groulx, Les Raquetteurs (1956) ou encore La Lutte (1961) dans une coréalisation avec Claude Fournier, Claude Jutra et Marcel Carrière sans oublier Golden Gloves (1961) de Gilles Groulx. En 1963, il coréalise avec Pierre Perrault, Pour la suite du monde un film fondé sur la fréquentation préalable des gens filmés et le principe sous-jacent de la communication, provoqués ici au moyen d’une action « vécue » qui joue le rôle d’un catalyseur. Le film obtient le Canadian Film Award du Meilleur film de l’année et le Prix spécial du Jury au Festival du Cinéma canadien.
En 1974, il réalise Les Ordres, une fiction documentée sur la crise d’octobre 1970. Dans ce film, il met en scène l’arrestation de cinq personnes suite à la promulgation de la Loi des mesures de guerre, puis la torture morale qu’il leur faut subir avant qu’on ne les relâche sans plus d’explication. Film intense, le film obtient le Prix de la Mise en scène au Festival de Cannes en 1975 et un Canadian Film Award pour la meilleure réalisation et le Prix de la Critique québécoise.
En 1990, il réalise Les Noces de papier qui relate l’histoire d’une femme acceptant de contracter un mariage de convenance avec un immigrant. Le film obtient le Prix du Meilleur réalisateur au Festival des Flandres. En 1986, il obtient le Prix Albert-Tessier.
Arthur Lamothe
Michel Brault
Equinoxe de Arthur Lamothe
La Lutte de Michel Brault
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