Est-ce qu’on en a encore quelque chose à foutre que l’espèce humaine continue à exister, que la planète continue à exister ? J’ai parfois l’impression que non et qu’on va droit dans le mur tout en faisant la bringue.
Alain Guiraudie
Les deux films coups de coeur Cinégotier de la rentrée, sont de loin, de très loin, Nocturama de Bertrand Bonnello et Rester Vertical de Alain Guiraudie. Le premier, juvénile et mortifère, le second, adulescent et fertile, tordent le coup aux idées reçues sur le cinéma français, ses conventions lyophilisées, son approche bourgeoise, son refus du politique et du social. Avec le talent de deux grands cinéastes, l’automne 2016 s’avère politique, noctambule, raide, mais aussi humaniste, vertical, de là à écrire érectile…
NOCTURAMA de Bertrand Bonello
Nocturama, déjà écrit et réalisé avant les attentats du 13 novembre 2015, devait emprunter – ironie mortifère du sort – son titre à un roman de Ernst Hemingway : Paris est une fête. Bonello lance dans la capitale une poignée de jeunes gens des deux sexes et de toutes les couleurs, panel représentatif des différentes couches de la société. Cette variété un peu trop consensuelle qui va du fils à papa version ENA aux chômeurs des banlieues, rend sceptique de prime abord, mais la bande à Bertrand ne cède à aucune explication, motivation, sacrifie toute psychologie au profit de l’action. Celle, dans la première partie, des blockbusters yankee avaleurs de pop corn, grand écart entre les split-screens de L’Affaire Thomas Crown de Norman Jewison au timing visuel de The Dark Knight de Christopher Nolan, sans oublier les circonvolutions hors-champs de Elephant de Gus Van Sant. Le 7e long-métrage de Bonello ne délaisse pas pour autant le cinéma français. Celui de Bresson – Le Diable, probablement où la jeunesse refuse l’ère du consumérisme. Celui de Rivette – Paris nous appartient avec ses jeux de piste, ses passages de relais. Révolte + légèreté = tout faire sauter. Exploits grisants, palpitants, pas si compliqués, relayés avec tant de rapidité, de facilité et de sensationnel par les écrans du monde entier !
La seconde partie de Nocturama, comme les prisons du bordel de L’Apollonide et de la maison de couture de Saint Laurent, est viscontienne. Les terroristes en herbe sont réfugiés dans un grand magasin, cathédrale de la consommation érigée par la révolution industrielle. Dans ce sanctuaire, chic bulle ouatée, tout se déforme, se déprave, fantasmes et fantômes s’invitent, et le grand magasin envoûte, hypnotise, dévitalise de ses idéaux de pacotille la bande nihiliste, incapable de résister à la tentation bling-bling des marques, aux étiquettes hors de prix. Plus terrorisés que terroristes, les petits criminels, ivres d’alcools et de bouffes fines, retombent en enfance avant de succomber pour rien. Dans Le Pornographe, Jean-Pierre Léaud déclare : « Nous vivons une époque sans fête, et nous y avons contribué. (…) Maintenant, il n’y a plus que des petits groupes isolés, autonomes et violents. ». Dans De la guerre, les initiatives des groupuscules s’effilochaient, suspendues à de trop maigres convictions. Dans Nocturama, les statues de Jeanne D’arc et de Louis XIV prennent cher. La première, Marilyn Monroe des saintes récupérée à tout va, flambe une seconde fois. Et Louis XIV, Roi-Soleil de la place des Victoires, les yeux ceints d’un bandana rouge, s’aveugle dans un Paris qui a mal au ventre et à l’âme. Gueule de bois sans nuit de fête. Benoit Gautier
Bain de mort pour Bonello – Pont de vie pour Guiraudie
RESTER VERTICAL de Alain Guiraudie
Alain Guiraudie balaye avec ce cinquième long-métrage, la séduction suspense, la lumière très La Mort au trousses de L’Inconnu du Lac, revient à son esprit pionnier, fordien. Ce western des grands espaces de l’hexagone où déambule un « lonesome intermittent », scénariste glandeur/clone du réalisateur, ne s’embarrasse pas de la cohérence des paysages, relie dans des plans coupes la grisaille du port de Brest, l’aridité du plateau des Causses, le bayou miniature du Marais poitevin. Léo, Candide du XXIe siècle, paumé et vecteur de tous les désirs à son corps quasi-défendant, découvre la paternité, donne la vie et l’euthanasie, s’étoffe, s’accroche des ailes et des épaulettes en se dénudant avec son bébé dans son giron de mec. « Pativité » à l’esprit biblique qui conduit Léo le berger sous les étoiles d’une nuit de crèche, envahie par les loups et leur folie carnassière. Guiraudie ne signe pas un long-métrage de plus, mais un plaidoyer humain, humaniste, social, politique, rural, urbain, onirique, trivial. Un engagement de chaque séquence que n’aurait pas renié deux Jean : Eustache et Vigo. Le Grand Prix du jury au dernier Festival de Cannes devait lui revenir. Merci Guiraudie pour tes vieux rêves (donc les nôtres) qui ne cessent de bouger ! Benoit Gautier
Léo, merveilleusement campé par Damien Bonnard, colosse au regard doux, est un scénariste en panne d’inspiration et passablement velléitaire qui sillonne les routes de France, de Brest à La Lozère aux Causses… Il est bientôt rattrapé par la violence sociale actuelle. Le récit aborde de nombreux tabous comme le vieillissement, la sexualité hétérosexuelle/homosexuelle, la gérontophilie, l’euthanasie, la paternité, et ceci sans le moindre esprit de provocation, mais avec une humanité bouleversante. Le scénario et la mise en scène époustouflants demeurent au plus près de la confusion des sentiments, de la complexité des émotions de Léo. Entre récit mythique et conte, Rester vertical est un film audacieux, magnifique qui ne se fige jamais, avance toujours à la conquête de lui-même et d’un ailleurs imprécis. Poétique, libre, drôle, d’une humanité bouleversante, c’est aussi une œuvre majeure, politique comme en témoigne la scène finale. Face à la dureté du monde, pas besoin de cris ni de coups, mais plutôt de respect et de dignité : RESTER DEBOUT. Maud Suchet
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