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Dès septembre 2010, Guillaume Canet annonce la douleur en couverture de Première, le mensuel de cinéma. Avec sa bouille de gendre idéal à la Patrick Bruel, le jeune homme sanglote au Cap-Ferret devant l’objectif d’un Jean-Baptiste Mondino peu inspiré.

Dans une interview fleuve, le réalisateur nous révèle qu’après le succès de Ne le dis à personne, il a plongé, touché le fond, s’est retrouvé à l’hosto et là, a compris le sens profond de l’existence grâce à une psychothérapie. À savoir : quand un ami est dans la merde, mieux vaut rester à ses côtés plutôt que de partir en vacances!

 

De cette fulgurance philosophique est né un portrait d’hominidés au bord des flots. Un film beaucoup moins choral que lacrymal. Le b(r)ouillon indigeste d’un ado attardé qui se prend pour Baruch Spinoza !

 

 

 

Le film de sa longue vie !

 

 

Soit Guillaume Canet n’est pas tout à fait fini (mais qui peut prétendre l’être jusqu’à l’heure de la mort ?…), soitil est un « movie makeur » (et c’est tout à fait honorable) un brin opportuniste. À mon avis, il nage avec habileté entre ces différents courants.

 

Après la sympathique surprise de Mon idole et le succès très surestimé de Ne le dis à personne, ce trentenaire se met soudain à penser, et nous assène une réflexion sur les affres de son âge en exhibant une bande d’hétéro sapiens à l’instinct monolithique.

Le réalisateur qui semble tout savoir du comportement de l’homme devrait appréhender avec quelques nuances les méandres de la psyché. Magma où se mêlent les influences de l’inné et de l’acquis. Kaléidoscope aux figures complexes, aux couleurs pâteuses, à la progression des plus lentes et subtiles. Tout le contraire de cette galerie de primates et de la mise en scène pataude qui l’anime !

 

 

Ces amis que l’on n’aimerait pas avoir !

François Cluzet, Gilles Lellouche, Jean Dujardin

 

 

En guise d’exposition, une caméra à l’épaule ne cesse de tanguer de l’un à l’autre des protagonistes jusqu’au mal de mer. Pour vanter la beauté du bassin d’Arcachon, elle grimpe en hélicoptère et capte le paysage en singeant Yann Arthus-Bertrand. Tous ces plans vus du ciel prouvent la générosité de la région dans cette production !

Enfin, dès qu’un personnage roule en voiture ou court sur la plage, une musique mi-popu, mi-branchouille l’accompagne comme par magie. Les trémolos d’Anthony and the Johnsons achèvent la play liste dans un climax noyé sous une pluie de sanglots dignes des grandes eaux de Versailles. À côté, les sagas de Lelouch (je confesse mon amour pour les petits formats de Claude) passeraient presque pour du Ingmar Bergman !

 

 

 

Pâle copie de films de potes

Husbands de John Cassavetes

P.Falk, B.Gazarra, J. Cassavetes

Les copains d’abord de Laurence Kasdawn

T. Berenger, J. Goldblum, K. Kline, W. Hurt

Vincent, François, Paul et les autres de Caude Sautet

G. Depardieu, Y. Montand, M. Piccoli, S. Reggiani

 

 

Guillaume Canet est un homme très pudique. Pour évoquer la genèse de ce navet, il n’hésite pas à raconter son intimité dans son dossier de presse et dans les magazines. Permettez-moi de livrer à mon tour une tranche de vie perso. Avant la projection pour les journalistes des Petits mouchoirs, l’attaché de presse s’est avancé dans la salle et a lancé : « Que vous aimiez ou non le film, Monsieur Guilllaume Canet vous demande de ne pas en dévoiler les cinq premières et les cinq dernières minutes. ».

 

Quelle curieuse requête ! À la lecture de Première et à la vision de la bande-annonce du film, il me semblait déjà tout savoir de cette intrigue aussi mince qu’un papier à cigarette. Mais soit, je respecterai le vœu du créateur et ne déflorerai rien de son scénario écrit à la truelle.

 

 

 

Freaks ou la parade monstrueuse

 

 

 

Guillaume Canet a toujours eu beaucoup d’amis. Son casting le prouve. Comme par hasard, la plupart de ses proches sont bankable. De Jean Dujardin connu au CM2 (dixit le dossier de presse ; qu’est-ce qu’on en a à foutre !) à Marion Cotillard sa compagne en passant par François Cluzet, césarisé par ses soins. Ces trois-là inscrits au même générique devraient bien attirer quelques milliers de spectateurs…

 

Le réalisateur qui nous avait déjà servi une pléthore de stars en guise de seconds rôles dans Ne le dis à personne invoque ici l’urgence existentielle et l’ambition artistique comme moteurs de son désir. Cet homme-là est bien trop pur pour spéculer sur son entourage !

 

 

 

Jean Dujardin

mieux éclairé en Harcourt qu’en Canet

 

 

Les admirateurs de Jean Dujardin en seront pour leurs frais car l’acteur brille par son absence pendant les cent cinquante-quatre minutes du film ! Tant mieux pour lui, moins dure sera sa chute après l’excellent Bruit des glaçons de Bertrand Blier. L’acteur offre ici sa première composition « quasimodienne » et semble, telle la statue du commandeur, planer au-dessus de la distribution en montrant à certains de ses collègues ce qu’il ne faut pas faire : cabotiner.

 

En première position : Gilles Lellouche ! La Mathilde Seigner au masculin du cinéma français se vautre sans l’ombre d’une distance dans un énième numéro de beauf urbain. Il est suivi de très près par Laurent Laffite, l’enfant naturel de Michel Leeb. Au service d’une partition improbable de tête à claques, le comédien grimace fort, très fort pour aller chercher ses larmes. Ses lèvres ont beau se déchirer, sa mâchoire se décrocher. En vain. Il ne parvient jamais à pleurer.

 

Ce n’est pas d’un petit mouchoir dont ont besoin Lellouche et Laffite, mais d’une couverture pour recouvrir le grand écran tant nous sommes gênés pour eux.

 

 

 

Trio pour les Gérard 2011 !

Gilles Lellouche, Laurent Laffite, François Cluzet

 

 

François Cluzet est un acteur à la nature fébrile et rare. Son regard peut vous glacer de peur en un instant. De ses plus belles compositions « aux abois », il faut retenir L’enfer de Claude Chabrol ou encore A l’origine de Xavier Giannoli. Là, terrorisé par une déclaration d’amour homosexuelle, le comédien devient la triste parodie de lui-même. Hache en main, il joue les Jack Nicholson dans Shining à la recherche… de fouines !

 

La cartoonesque Valérie Bonneton incarne son épouse avec ses faux airsde Shelley Duvall. Son choix face à François Cluzet avait pourtant du bon. Hélas, elle est condamnée à une quasi-figuration tout comme l’excellente Pascale Arbillot, médusée devant la décharge de clichés à deux balles.

 

 

 

Guillaume Canet et Marion Cotillard par Luc Roux

 

 

Marion Cotillard, porte-parole des monologues de son compagnon, doit être aveuglée par l’amour pour accepter de déblatérer un tel concentré de lieux communs. Résultat, elle ne parvient à exister que dans ses silences. Une cigarette roulée à la main, elle oscille alors entre la force de Bette Davis et la friabilité de Simone Simon.

Autrefois, Mesdemoiselles Bardot et Girardot ont vu leur carrière internationale s’effilocher par manque de discernement. Espérons que La Cotillard n’emprunte pas le même chemin…

 

 

 

 

 

La goutte qui fait déborder le vase de cette distribution est la présence de Jean-Louis, un ostréiculteur du Cap-Ferret.Ce non professionnel au teint rubicond et aux cheveux de neige est censé représenter la conscience de cette poignée de caricatures. Pensez donc, une force de la nature en phase avec les mollusques est forcément un grand sage !

À la fin du film, Jean-Louis brosse un portrait interminable de chacun. Dans une logorrhée moraliste, il met en phrases ce que nous subissons déjà en images depuis… plus de deux heures trente !

 

 

 

Label minéralité

Alain Delon, Benoît Magimel par Nicolas Guérin

 

 

MAIS, il y a un mais en majuscule. Les petits mouchoirs dispose d’un sublime atout : Benoît Magimel. Il vaut à lui seul le détour tant cet interprète brave coûte que coûte la déferlante des bons sentiments. L’acteur le plus minéral depuis Alain Delon est vibrant dans la peau d’un homo refoulé. Son regard bleu égaré implose dans la dignité jusqu’à se déchirer dans une violence libératrice.

 

Le dernier plan des Petits mouchoirs rend hommage à Vincent, François, Paul et les autres de Claude Sautet. Tous les garçons de la bande se répandent dans les bras les uns des autres. Soudain, Magimel sort le visage de la mêlée. Il se tourne vers l’extérieur de l’écran, sourit vers le hors champ comme délivré de cette épreuve. Arrêt sur image : un sphinx respire parmi les polichinelles ! Mais diable cher Benoît gentilhomme, en dépit des insuccès essuyés chez Michel Houellebecq et Barbet Schroeder, qu’alliez-vous faire dans cette galère ?…

 


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