Cinégotier a demandé à Aurore Clément quelle est son actrice préférée. Elle a choisi Ingrid Bergman. Sous la direction de Alfred Hitchcock, elles rejouent Spellbound/La Maison du docteur Edwardes (1945).
Les doigts boudinés de Hitch tapotaient sur sa panse généreuse. Lui qui avait l’habitude de calmer les ardeurs de ses scénaristes venait de diaboliser le script de Spellbound écrit par Ben Hecht. Le méchant du film n’était plus un homme mais une femme ! Jenny Murchison, la psychiatre meurtrière qui refoulait son homosexualité, son attirance pour la psychanalyste Constance Peterson interprétée par Ingrid Bergman.
L’incarnation de Jenny Murchison lui apparut à Paris, lors de l’avant-première de Aventure malgache où Aurore Clément, blondeur arachnéenne, déboula pieds nus sur le tapis rouge dans une robe de satin blanc avec un manchon en chinchilla. L’audace de la Française choqua délicieusement Alfred. Il s’enquit de son identité puis murmura : « Aur… ore ! Hor… ror ! ». Hitch visualisa le docteur Murchison avec la croix du Christ tatouée sous la plante de son pied gauche. Telle une déesse, la psy gourou foulerait l’asile de fous de Spellbound !
Dès son arrivée à Hollywood, Aurore Clément fut accueillie à bras ouvert par Ingrid Bergman. Elle lui présenta Peter Lindstrom son époux et Pia, leur fille unique. Ingrid, férue de culture française, s’exprimait dans la langue de Molière en présence d’Aurore.
Vint le tournage de la séquence où Constance confond Jenny grâce à l’interprétation freudienne des rêves. Hitch demanda à Bergman d’énoncer son accusation avec calme, pragmatisme. Il ne donna aucune indication à Clément, vêtue d’un chemisier blanc avec cravate, d’un petit gilet avec jupe à pinces qui rappelaient les costumes masculins. Ingrid, d’une générosité absolue, joua son texte sans effet pour laisser la vedette à sa partenaire. Lors de la mise en joue, filmée en caméra subjective, les mains d’Aurore tinrent bon le revolver avec l’intention de tuer. On raconte qu’elles se mirent à trembler, improvisèrent un va-et-vient entre le cœur et l’entrejambe de Constance, la trajectoire du désir de Jenny.
À la sortie de Spellbound, le code de censure Hays ne vit que du feu à la symbolique phallique du revolver. Alfred Hitchcock, pendant la promotion, recommanda aux spectateurs de choisir avec grand soin leur thérapeute. Le Maître qualifia ses deux héroïnes au teint de porcelaine de « bonbonnières cérébrales… un brin fêlées ! ».
Ce texte est dans FAUX Q # 9
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