Le début d’un film appelle sa fin et sa fin un début, le milieu se crée comme il peut.

Jean-Luc Godard

Affiche enquête sur une passion Nicolas Roeg«Sick, sick and sick ! » s’exclame furibond l’un des responsables de Rank Organisation à la vision de Bad timing : a sensual obsession. Ce « film malade fait par un malade pour des malades » dixit ses distributeurs, est condamné sans appel. Sa sortie des plus discrètes se solde par un échec commercial cuisant, achève la période artistique la plus faste de Nicolas Roeg. Cinéaste britannique, iconoclaste, insolent de talent qui pulvérise la linéarité de la dramaturgie le plus souvent empruntée à la construction littéraire, condamne la structure scénaristique de cause à effet, revendique un style clipesque avant l’heure où les images organisées dans un désordre sensoriel désarçonnent, dérangent, remettent en question l’éveil, l’acte de voir du spectateur de cinéma.

Dans l’émergence du Swinging London, Nicolas Roeg, directeur de la photographie, se frotte à quelques grands noms de la réalisation, collabore à une poignée d’œuvres remarquables : Roger Corman (Le Masque de la mort rouge), David Lean (Lawrence d’Arabie, Docteur Jivago), François Truffaut (Farenheit 451), John Schlesinger (Loin de la foule déchaînée), Richard Lester (Petulia)…
Entre 1970 et 1976, il co-signe Performance/Vanilla avec Donald Cammell, puis tourne en solitaire Walkabout/La Randonnée (son chef-d’œuvre), Don’t look now/Ne vous retournez pas, The Man who fell to the Earth/L’Homme qui venait d’ailleurs. À l’instar de l’un de ses contemporains, Stanley Kubrick, Nicolas Roeg trouve l’identité de son style dans le film de genre : le musical, le road-movie, le fantastique, la science-fiction. À chaque fois, le cinéaste adapte une œuvre littéraire, mais ne cède jamais à une logique narrative. Sa mue de l’écrit à l’écran ambitionne de capter le flot de la pensée humaine, son agitation, son ébullition, sa fragmentation, sa juxtaposition des émotions. Lors de cette métamorphose, la sensibilité abrasive, touffue de Roeg opère tel un champ magnétique où se libère un kaléidoscope de visions instantanées, une mosaïque de décalcomanies mentales.

Malgré l’insuccès au box-office de The Man who fell to the Earth, le réalisateur se voit proposer de nombreux projets, mais aucun ne voit le jour. Parmi eux, Flash Gordon, Hammett, Out of Africa tournés respectivement en 1980, 1982 et 1986 par Mike Hodges, Wim Wenders et Sydney Pollack. Au cours de la longue élaboration de Flash Gordon avec le producteur italien Dino de Laurentis, son associé Carlo Ponti envoie à Nicolas Roeg un traitement d’une quinzaine de pages sur une passion destructrice entre un psy pervers narcissique et une fille libérée à défaut d’être libre. Le scénario est confié à Yale Udoff, un scénariste obscur fan de Nicolas Roeg. Le cinéaste, fidèle à son habitude, souhaite explorer de nouveaux territoires avec sa caméra. Après le buch aborigène de Walkabout, la cité des Doges de Don’t look now, Bad timing multiple les contrées : Vienne et l’Autriche, le no man’s land tchèque, Casablanca et le Maroc, New York et les Etats-Unis.

Nicolas Roeg Mick Jagger performance

Nicolas Roeg David Bowie l'homme qui venait d'ailleurs

Fort des prestations réussies de Mick Jagger dans Performance, de David Bowie dans The Man who fell to the earth, Nicolas Roeg confie le rôle du docteur Alex Linden à une autre pop star : Art Garfunkel vu dans Carnal Knowledge/Ce plaisir qu’on dit charnel, bréviaire du sexe réalisé par Mike Nichols en 1971. Il offre le personnage de Milena Flaherty à Theresa Russel, une ex-mannequin remarquée en 1976 dans The Last Tycoon/Le dernier Nabad, ultime film de Elia Kazan d’après le roman inachevé de Francis Scott Fitzgerald où la débutante évolue entre deux monstres prénommés Robert : Mitchum et De Niro. Le jeune flic Netusil est campé par Harvey Keitel, adepte fébrile de l’Actor’s Studio, et abonné aux productions européennes puisqu’en 1980 il partage l’affiche avec Romy Schneider dans La Mort en direct de Bertrand Tavernier. Stefan Vognic, le mari délaissé, revient à l’acteur anglais Denholm Elliott. Cet acteur formé à la Royal Academy of Dramatic Art rencontre en 1981 la notoriété internationale dans Raiders of the lost Ark/Les Aventuriers de l’Arche perdue de Steven Spielberg où il incarne l’ami et l’assistant d’Indiana Jones.

Nicolas Roeg tourne Bad timing à une cadence infernale. Dès la première semaine, Theresa Russel et Art Garfunkel menacent de quitter le navire. Le réalisateur qui n’a jamais poussé aussi loin sa technique de déstructuration du récit, les implore de tenir bon. Theresa Russel, au fil des prises, s’abandonne. Elle devient la muse de Roeg puis son épouse. Ils se retrouveront six fois devant la caméra. Quant à Art Garfunkel, il défendra toujours dans sa courte filmographie composée de sept longs-métrages, cette œuvre qualifiée de « maudite ».

Nicolas Roeg glisse deux hommages dans Enquête sur une passion. Son titre Bad timing est emprunté au long poème d’amour de William Blake. Quant à la parenthèse venimeuse marocaine où la demande en mariage d’Alex est ponctuée d’inserts avec charmeurs de serpents qui opposent leurs reptiles, elle est dédiée à The Sheltering sky de Paul Bowles. Roeg ne pourra jamais parvenir à adapter avec Robert Aldrich cette œuvre qu’il vénère. En 1989, c’est Bernardo Bertolucci qui réalisera Un Thé au Sahara, le récit d’une histoire d’amour entre deux êtres qui ne peuvent trouver le bonheur ensemble. Mais fi de cette succession de projets avortés, d’actes manqués ! De Performance à Bad timing : a sensual obsession, Nicolas Roeg aura subjugué dans les salles obscures toute une génération de cinéphiles. Parmi ces spectateurs ébahis, Ridley et Tony Scott, Steven Soderbergh, Christopher Nolan, Danny Boyle ou encore François Ozon qui revendiquent son impact.

Cet article est dans le dossier de presse de Mission Distribution Cinéma